Promo Piétons

Promo Piétons : résoudre les conflits entre l’automobile et le piéton dans l’hyper centre-ville de Nantes

Extrait du livre « Made in Nantes, 50 ans d’actions au cœur de la Cité, Jeune Chambre économique de Nantes ». Auteur : Béatrice Blouet.

L’occasion pour Vincent Delaroux de raconter son implication dans la Jeune Chambre Economique au travers de cette action importante pour la Ville de Nantes : le choix des rues piétonnes… 

Vincent Delaroux est un sage. La voix chaleureuse, précise, il regarde l’époque actuelle avec un regard bienveillant et sourit à l’évocation de temps désormais révolus… Il nous invite à cheminer avec lui dans les rues piétonnes de Nantes.

L’action «Promo Piétons» est peut-être une des plus anciennes actions, la Jeune Chambre Economique n’avait que quelques années lorsque vous avez initié cette idée ?
Oui, la Jeune Chambre Economique de Nantes venait d’être créée en 1958. J’y suis entré à 25 ans et je dis toujours que cela a été de nature à favoriser un envol professionnel et des engagements extérieurs. On était une vingtaine à l’époque, au départ, c’étaient des petites réunions informelles encore peu organisées et peu structurées, mais avec la volonté, malgré tout, d’agir dans un certain nombre de domaines. Il y avait déjà, parmi les membres de la Jeune Chambre, un certain nombre de responsables d’activités marquantes sur Nantes. Les membres Jeune Chambre voulaient agir là où cela leur semblait nécessaire et le plus souvent à contre-courant des idées habituelles ! Nous étions vraiment des aiguillons et allions voir n’importe qui lorsqu’on avait quelque chose à faire, sur des sujets mineurs ou plus importants.

Vous souvenez-vous des actions de l’époque ? 
Dans les années 70, je crois, nous avons organisé une exposition à l’occasion de la Foire Commerciale de Nantes avec un stand important que nous avions appelé « Nantes horizon 2000 » ! Aujourd’hui c’est amusant de se souvenir de cela ! Nous avions essayé d’étudier toutes les évolutions prévisibles jusqu’à 2000 - c’était extrêmement intéressant : la naissance de l’informatique, de la communication… Alors même que nous faisions cela en amateur nous avions attiré beaucoup de monde sur notre stand ! 

Et vous souvenez-vous comment vous envisagiez l’an 2000 ? Et les choses les plus farfelues que vous envisagiez en l’an 2000 ?
Eh bien je crois que nous ne nous étions pas trop trompés sur le bouleversement qu’allaient entraîner tous les nouveaux moyens de communication. Je pense que nous étions assez dans le vrai, on analysait plus les conséquences qu’allaient apporter les nouvelles technologies dans tous les domaines : l’automobile, les voies de communication, les transports, l’informatique, tout était analysé point par point et nous avions sollicité - parce que nous étions loin d’être des spécialistes - l’avis de sommités pour essayer de ne pas trop se tromper.

Nous avons engagé un certain nombre d’actions d’envergure mais aussi des actions toutes simples. Par exemple : nous avions convaincu les PTT qu’il fallait des boîtes aux lettres pour automobilistes. Cela nous semblait idiot de voir les personnes descendre de leurs voitures pour aller poster une lettre. Nous avons donc réussi à faire implanter des boîtes aux lettres qui ont d’ailleurs disparu depuis. Mais c’était extraordinairement pratique ! Je crois que ce n’est pas l’envergure de l’action qui compte, mais la volonté d’aboutir. Si on pense qu’on a raison, il faut aller jusqu’au bout et il ne faut pas lâcher. Et si on a bien étudié les dossiers, on prend en général la bonne direction, on a du mal à nous prouver qu’on a tort !

Et sur cette histoire de boîte aux lettres, vous étiez sûrement dans le vrai puisque, aujourd’hui, à côté des centres de tri, il y a des boîtes spécifiques pour le dépôt par les automobilistes.
Eh bien oui ! C’est très bien. Il peut y avoir des actions qui font sourire, qui sont mineures mais qui sont utiles.

Avez-vous d’autres exemples ?
Il ne m’en vient pas à l’esprit… Il faut dire qu’on est tombé à une époque particulière. Il faut se souvenir que Nantes et un certain nombre de villes de France ont été mobilisées pendant toute la période d’après-guerre par la reconstruction. Il y avait donc moins d’ambition au niveau urbain en général, parce qu’il fallait reconstruire ou construire vite de façon à loger les personnes sinistrées. Les villes, en général, ne prévoyaient pas, elles bâtissaient à toute vitesse. Ensuite est survenu l’exode rural avec l’arrivée de nombreux anciens agriculteurs, puisqu’en quelques années on est passé de plusieurs millions à 500 000 agriculteurs. Ils sont en général venus dans les zones urbaines, et, là aussi on a continué à construire très vite, avec des règles qui n’étaient pas à l’époque très contraignantes. Il y avait une grande liberté d’action et moins de structures publiques pour étudier les dossiers. Les choses étaient peut-être un peu moins complexes que maintenant où tout est enchevêtré, les niveaux de décision sont éclatés. On pouvait agir plus facilement sur un sujet déterminé. Néanmoins, on peut toujours agir aujourd’hui quand même !

Cela a été une période extraordinaire à la Jeune Chambre. Je ne sais pas comment cela se passe maintenant, mais c’est certainement pareil. On allait partout. On tapait à toutes les portes, dès qu’on voulait avoir des renseignements, on n’hésitait pas à aller voir le Maire, le Préfet, le Président de la Chambre de Commerce. Cela ne nous gênait pas du tout et c’était fort bien accepté parce que nous étions jeunes, à un âge qui permet éventuellement de faire des erreurs mais aussi de prendre des positions, peut-être originales par rapport aux décideurs économiques ou politiques.
On voyait tout le monde de façon à recueillir un certain nombre d’avis - ça doit toujours être la même démarche à la Jeune Chambre - parce qu’on n’est pas des spécialistes du domaine que l’on est appelé à étudier. Tout cela, pour parvenir à une synthèse pertinente.
Je crois aussi que l’époque était plus facile du point de vue professionnel. Les plus jeunes actuellement sont parfois obligés de privilégier un peu plus leurs activités professionnelles et leurs activités familiales. Il suffisait de sortir de chez soi pour trouver un emploi ! Par ailleurs, l’épouse s’occupait des activités familiales. L’homme intervenait peu dans les tâches de la famille, ce qui nous laissait un peu plus de temps et de liberté pour avoir des engagements extérieurs.

Y avait-il des femmes à la Jeune Chambre ?
Non, seulement beaucoup plus tard, pratiquement à mon départ. Cela avait créé un certain trouble et même des velléités de démission, certains étant foncièrement contre. Pour moi, je pensais que c’était bien représentatif de l’esprit Jeune Chambre d’accueillir des jeunes femmes qui ont des responsabilités. Mais c’était admis un petit peu difficilement à l’époque... 

Quelle a été la genèse en tout cas de l’action Promo piétons ?
Du point de vue professionnel, je suis au départ commerçant, je portais ainsi un intérêt tout particulier à la ville de Nantes puisque nos établissements étaient implantés sur Nantes. Tout a commencé par la création d’une Commission à la Jeune Chambre Economique sur l’aménagement urbain et les rues piétonnes, en 1973.  Nous avions rédigé un questionnaire et nous sommes allés dans les rues poser des questions aux chalands nantais sur un certain nombre de domaines. Forts de cela, nous avons décidé du domaine prioritaire dans lequel nous devions agir : les problèmes de piétonisation.

Un sujet difficile en raison d’une certaine réticence des milieux du commerce. Il était indispensable, dans les hyper centres-villes, de résoudre les conflits entre l’automobile et le piéton. Nous voulions donner la priorité au piéton. Nous avons réuni un certain nombre d’instances diverses pour réfléchir de façon objective à ce qu’il faut faire en urbanisme et, plus particulièrement, en rues piétonnes. Avant de s’appeler « Promo Nantes » l’action s’appelait « Promo piéton Nantes ».

Quelle était la situation dans Nantes ? Y avait-il déjà des rues piétonnes ?
Aucune. Nantes avait un peu de retard par rapport à certaines villes. Rouen a installé la première dans la Rue de l’Horloge. Nous nous étions d’ailleurs déplacés pour voir comment ça fonctionnait. Nantes n’était pas très en retard mais il était temps de commencer à y réfléchir. 
Lire article : 98% des nantais estiment le problème de la circulation suffisamment crucial pour prendre des solutions extrêmes picto-doc.jpg
Tout le groupe Jeune Chambre a beaucoup travaillé et je pense qu’on a sorti à l’époque un document qui avait beaucoup marqué. C’était sous le mandat de Monsieur Morice, le Maire de Nantes, eh oui ce n’est pas hier !
Pour ce document, nous avons reçu l’aide efficace d’un ancien Président de la Jeune Chambre, Yves Gellusseau, un architecte qui s’occupait de problèmes d’aménagement.
Même la présentation était assez originale, une présentation à l’italienne... Aujourd’hui encore, je le trouve joli.

Alors nous avons étudié les limites du projet, les idées directrices, l’hypothèse d’étude, la conclusion et puis on avait fait un certain nombre de plans annexes. On exprimait la position de « Promo piéton ». Et ce document nous a aussitôt crédibilisés : nous n’étions pas ridicules par rapport aux documents publiés par les services techniques. Voir document : proposition pour un aménagement du centre-ville picto-doc.jpg

Il faut re-situer Nantes... Le tramway avait été arrêté et il n’avait pas encore été ré-implanté.
Absolument, le tramway a été repris dans les années 1985. Le centre de Nantes était le royaume des voitures et des bus.

Nous avions déterminé d’abord un périmètre - allant de la Rue Thiers, Rue Général Leclercq de Hautecloque, à la Place Graslin, Place Foch, à la Rue « Sully »   - périmètre où l’implantation de zones piétonnes nous semblait possible. Nous avions étudié les caractéristiques physiques de la rue, les caractéristiques d’utilisation, l’occupation de la rue.
Nous avions fourni un gros travail sur la définition des critères pour qu’une rue devienne piétonne.

Quels sont-ils ces critères ?
En premier lieu, seul l’hyper centre-ville est concerné naturellement. Ensuite, nous pensions à l’époque - et je le pense toujours - qu’il ne faut pas transformer des grands axes de circulation en axes piétons parce que, à ce moment-là, on en crée des déserts urbains. Il fallait privilégier les rues où le conflit entre le piéton et la voiture était fort et, où le piéton était plus important que la voiture.

Vous souvenez-vous d’une rue typique de ce conflit ?
La Rue des Halles accueillait de nombreux piétons et n’était pas indispensable pour irriguer le centre-ville. C’est une des premières d’ailleurs qui a été faite. Autre exemple, dans le quartier du Bouffay : les voies sont étroites, la circulation automobile n’est pas nécessaire pour réveiller la ville. De toute évidence, il fallait y privilégier la circulation piétonne. Voir plan : aménagement espace piétonnier picto-doc.jpg

Notre démarche a un peu surpris à l’époque. En réalité, on pensait peu aux rues piétonnes. C’était le début du grand développement de l’automobile, tout le monde achetait une voiture et voulait avant tout s’en servir, autrement on ne l’achetait pas !
C’était assez curieux : plus l’achat d’une auto demandait un effort financier par rapport à ses moyens, plus on voulait l’utiliser. C’est le premier achat important d’un jeune, alors, ce n’est pas pour la laisser au garage !
Parmi les commerçants, il y avait une certaine réticence à l’apparition de la rue piétonne : « si les voitures ne peuvent plus passer, nous serons obligés de fermer nos magasins ! », voilà ce que nous entendions. Nous avons été à contre-courant des idées habituellement répandues. Plus tard, avec le développement des transports collectifs, notamment le tramway, il y aura là aussi beaucoup de résistances ! C’était l’ère de l’automobile !
Les anciens tramways avaient été supprimés à cause de l’automobile. 
Une image de crédibilité s’était pourtant formée à l’extérieur. Nous sommes allés propager la bonne parole….. A La Rochelle, par exemple, où le Maire, Michel Crépeau, nous avait demandé d’intervenir auprès des élus et des commerçants. Nous sommes arrivés pour une réunion et on ne s’attendait pas d’ailleurs à ce qu’il y ait tant de monde ! Nous étions comme des gamins surpris de leur succès !
Lorsque je relis nos documents de synthèse, pratiquement tout ce nous avions proposé a été fait peu à peu, parfois 10  ou 15 ans après, mais ça a été fait. Preuve que notre réflexion n’était pas si mauvaise… Voir plan : secteur sauvegardé picto-doc.jpg

Cette action a-t-elle été transmise, comme le veut la méthodologie Jeune Chambre ?
Une association Loi 1901 Promo piéton Nantes a été créée et elle est toujours active.

Nous l’avons, par la suite, baptisée Promo Nantes car l’objectif a changé : les rues piétonnes étant en partie avalisées, nous avons basculé en « Promo Nantes », avec un rayon d’action plus large : circulation, stationnement, accessibilité, aménagement urbain et pas exclusivement les rues piétonnes. Lire article : les rues piétonnes : la meilleure façon de marcher. picto-doc.jpg Un objectif tout aussi intéressant qui nous permet d’intervenir et de nous répéter inlassablement… Parce qu’en réalité, à la Jeune Chambre comme dans les associations, on n’est jamais des décideurs, on ne peut que proposer et re-proposer avec une telle ténacité qu’on lasse les décideurs et qu’ils sont obligés de s’exécuter ! C’est ça la force de la Jeune Chambre !

Mais aujourd’hui, nous devons passer la main !
Promo Nantes, c’est une association de plus de 30 ans qui a toujours fonctionné et qui a fait des propositions extrêmement intéressantes. Si elle disparaît, elle laissera un vide, je pense. Lire article : Promo Nantes renaît de ses cendre picto-doc.jpg

Que vous a apporté la jeune Chambre professionnellement ou personnellement ?
La Jeune Chambre a été le premier tremplin pour structurer ma démarche, pour aller plus loin. Le bon âge pour le faire, c’est avant 40 ans. 25 et 40 ans, c’est la période idéale pour essayer de faire ses armes, pour se former, pour s’habituer aussi à travailler en groupe (pour moi, c’est la première fois que je travaillais en groupe !). C’est grâce à la Jeune Chambre que j’ai pu faire un certain nombre de choses que j’ai faites dans ma vie. La condition est de ne pas rester spectateur mais toujours vouloir être acteur. Par ailleurs, acteur ne signifie pas obligatoirement être Président ou membre du Bureau. Il n’y a pas de doute, il faut agir, s’investir ! Avec les autres !
Cette action « Promo Nantes » n’est pas mon action, c est une idée de la Jeune Chambre à laquelle j’ai participé, parfois de façon importante quand même.

Pour moi il faut commencer jeune (25 ans), rester un certain nombre d’années (au moins une dizaine d’années, si possible), pour bien voir les fonctionnements et les actions Jeune Chambre. Quelle idée extraordinaire, la Jeune Chambre ! C’est une période de sa vie où même si on fait des erreurs dans nos propositions, compte tenu de notre âge, nos interlocuteurs sont un peu moins critiques, parce qu’ils admettent plus facilement que des jeunes puissent faire des petites erreurs d’analyse ou de proposition, ils l’admettent moins après 40 ans.
Un des bénéfices essentiels, c’est le réseau ! La Jeune Chambre permet de se créer un formidable tissu relationnel. On ne peut pas travailler sans réseau.
Vraiment pour moi, c’est extraordinaire, la Jeune Chambre ! Mais je m’interromps car je pourrais en parler pendant des journées entières !